Bains glacés par temps (très) froid.

L’hiver est à notre porte dans l’hémisphère nord. Le froid est de retour, selon où l’on se trouve, et aussi selon ce que le réchauffement climatique veut bien nous laisser. Au Québec, où je réside, le froid s’est installé. Le mercure oscille entre -20˚C et -10˚C ces derniers jours. Avec des pics (des vallées devrait-on dire) à -25˚C. Éole vient parfois nous gratifier de baisers très froids. Cette saison est un moment béni de l’année pour les amatrices et les amateurs d’exposition au froid. Elle rend le froid facile d’accès et bon marché : l’eau de la douche est très froide, la neige souvent abondante pour s’y rouler, les cours d’eau et les lacs offrent des terrains de jeu magnifiques. Ces conditions peuvent néanmoins être intimidantes et apporter leur lot de risques. En quelques années de pratique de l’exposition au froid, j’ai eu l’occasion d’observer mes propres sensations mais aussi celles des gens que j’accompagne. De plus, on m’a quelques fois demandé mon avis sur cette question : est-il raisonnable d’aller se baigner par -20˚C ? Si oui, y-a-t ‘il des choses à planifier différemment que lors d’un bain de glace estival dans une piscine remplie de glaçons ?

Des risques amplifiés.

Lors de la pratique du bain glacé, le risque principal est la surexposition au froid. Celle-ci peut entraîner dans le pire cas l’hypothermie, ou sinon l’after-drop. L’hypothermie a lieu lorsque que la température corporelle descend sous les 35˚C. Il s’agit d’un phénomène potentiellement grave. L’after-drop a lieu lorsque, une fois le bain glacé terminé, le sang retourne dans les extrémités (bras et jambes) qui sont elles-mêmes très refroidies. En s’homogénéisant, le sang peut alors induire une soudaine chute de température corporelle. Les personnes qui ont été formées à cette pratique, par un instructeur certifié Méthode Wim Hof par exemple, connaissent ces risques. Elles savent a priori comment éviter ces situations. Je n’y reviendrai donc pas.

Il est cependant important de rappeler ces risques dans le cadre de ce billet. En effet, lors de la pratique du bain glacé, les conditions extrêmes amplifient les risques d’hypothermie ou d’after-drop. Pourquoi ? Parce qu’une fois l’immersion terminée, le corps peine d’autant plus à se réchauffer que la température extérieure est froide. Donc l’exposition au froid intense continue, même hors du bain. La peau mouillée, exposée à une température extérieure très froide, voire à du vent, maintient une sévère exposition au froid. Imaginez que, une fois dehors, vous êtes en fait toujours dans un bain de glace, mais que ce dernier est une fine pellicule d’eau sur votre peau. Vous pensiez rester 2-3 minutes dans l’eau, mais vous y restez 5… 7… 10 minutes… Vraisemblablement une durée à laquelle vous n’étiez pas préparé, notamment mentalement. Et l’on sait combien le mental est important dans cette pratique.

Jouer avec le confort, pas avec la sécurité.

L’un des choses les plus importantes que l’alpinisme m’a appris (malgré une expérience très limitée), est que, quand les conditions deviennent « extrêmes », le moindre petit bobo peut se transformer en cauchemar. Par exemple, une entorse à la cheville qui, en ville, serait prise en charge sans problèmes, peut entraîner lors d’une course en montagne des plus grands risques de chutes, vous ralentir pour revenir à la civilisation ; ce ralentissement vous laissant lui-même à la merci des caprices de la météo.

Revenons à la pratique du bain de glace et imaginons deux scénarii.

Scenario 1 : Sur les réseaux sociaux, Tartempion a regardé des vidéos magnifiques et des photos impressionnantes où Wim se baignent parmi les icebergs, dans une contrée nordique. Tartempion a l’habitude des douches froides hivernales et des bains froids estivaux. Tartempion connait un coin de pays très photogénique et aimerait en profiter pour s’y baigner, prendre des photos et récolter quelques pouces bleus et quelques cœurs. Il n’y a rien de mal à cela. Donc, Tartempion se met en route. Il y a une heure de marche pour arriver sur place. Tartempion a appris chez certains adeptes de la Méthode Wim Hof qu’il faut utiliser son feu intérieur et que le pouvoir de l’esprit est illimité. Donc, Tartempion, seul et confiant, avance peu vêtu. Sur place, il fait froid et il y a un peu de vent. En outre, ça n’est pas facile de garder le mental affuté car il faut installer le téléphone qui va immortaliser la scène. C’est le moment du bain, géré avec brio malgré les vaguelettes, cadeaux du vent pour sa nuque, qui perturbent la concentration. Dehors, c’est difficile. Le vent toujours. Le froid pique plus que d’habitude. La posture du cavalier ne semble pas suffire à réchauffer la machine. Les doigts et les orteils sont douloureux, et surtout, la sensation de toucher est aux abonnés absents. Dans ces conditions, remettre ses chaussures est un véritable calvaire. Mais Tartempion est venu pieds nus donc le problème ne se pose pas. En revanche, le risque de blessures sur des pieds engourdis est plus important. Et remettre ses vêtements est difficile. Bientôt, Tartempion grelotte de façon incontrôlable. Il y a une heure de marche et il faudra ensuite prendre le volant. Dans cet état, se réchauffer peut prendre quelques heures et il est dangereux de conduire. J’arrête ici.

Scenario 2. Tartempion a choisi de se donner du courage et de la motivation en allant dans un lieu magnifique avec des ami(e)s. Outre les encouragements, les membres du groupe peuvent se surveiller mutuellement et partager la responsabilité des photos et films. Le lieu n’est pas loin de la voiture ou d’un abri, voire d’une maison, où se réfugier. Il fait froid et il y a du vent donc les membres du groupe se sont couverts et ont prévu de quoi se sécher et des affaires sèches. En effet, dans ces conditions, se sécher en sortant de l’eau arrête l’exposition à l’eau glacée. On peut alors, une fois sec, pratiquer sa posture du cavalier afin de chercher son feu intérieur, avant d’enfiler des habits secs. Une fois la séance terminée et le mental relâché, Tartempion peut prendre le volant tout en profitant d’une boisson chaude apportée dans un thermos.

Les scenarii décrits ci-dessus sont volontairement caricaturaux. Encore que. Le scenario 1 n’est pas fondamentalement idiot. Si l’on sait ce que l’on fait, que l’on est préparé, que l’on est conscient des risques, il n’y a aucun mal à se lancer dans une telle aventure. Le scenario 2 est plus prudent mais n’en est pas moins une expérience enrichissante.

Explorer ses limites graduellement. Surveiller son ego.

À mon sens, la grande différence entre les deux approches, et la supériorité du scénario 2, réside dans la capacité à explorer ses limites graduellement et à surveiller son ego.

Le bain de glace est une pratique sur ses propres limites. Disons simplement que flirter avec ses limites fait partie de l’expérience mais les dépasser peut mener à l’accident.

Explorer ses limites graduellement consiste à évaluer les risques de dépasser ses limites perçues dans une situation donnée en la comparant à des situations passées. Par exemple, si j’ai déjà pris pas mal de bains glacés par temps chauds pendant 2 à 3 minutes, je sais que, sauf si je me sens malade ou en manque de sommeil, je suis capable de réitérer cette expérience. En revanche, sortir d’un bain glacé en ayant les pieds dans la neige pendant plusieurs minutes et dans un vent froid, c’est nouveau. Donc, afin de ne pas griller trop d’étapes dans l’exploration de mes limites, je peux choisir par exemple de me sécher en sortant du bain avec une serviette. Certes, on entend souvent les enthousiastes de la Méthode Wim Hof dirent qu’il faut se sécher avec son feu intérieur. Si l’on en croit les récits d’Alexandra David-Neel, des moines au Tibet étaient capables de sécher des couvertures trempées dans lesquelles ils s’étaient enveloppés. Tout ceci est bien sur inspirant mais la vérité est que la plupart d’entre nous en sommes loin. Donc, on peut choisir de se sécher avant de travailler sur son feu intérieur et enfin de finir de s’habiller. Autre exemple de choix qui peuvent se poser : mettre des bottillons, voire des gants, en néoprène. L’immersion en eau froide est assez intense en soi et les douleurs dans les orteils peuvent ajouter un stress non nécessaire. Et si l’on n’est pas sûr du fond du lac (pierres pointues, débris de verre…), pourquoi s’ajouter un stress supplémentaire ? Autant vivre son immersion pleinement et faire un travail spécifique sur les extrémités dans des conditions contrôlées. Chaque chose en son temps. Explorer ses limites perçues est une course de fond.

Surveiller son ego est quelque chose de délicat, particulièrement dans le cadre de la Méthode Wim Hof à l’heure des réseaux sociaux. En effet, on ne va pas se mentir, on a tous plus ou moins cette envie de bien paraître, que cela soit devant son entourage réel ou virtuel. La Méthode Wim Hof consistant souvent à jouer avec ses limites, elle invite facilement à la recherche de performance. Ajoutons les réseaux sociaux qui nous abreuvent d’images de la Méthode Wim Hof sous une forme particulièrement photogénique et souvent extrême : de beaux jeunes gens qui semblent tellement à l’aise pieds nus et en short dans le blizzard, sur (et parfois sous) la banquise. Les clichés essentialisant du jeune mâle « badass » testostéroné et de la gracieuse sirène des mers arctiques. Bref, nous sommes facilement conditionnés à vouloir faire aussi bien… alors que nous ne sommes pas forcément préparés. Une fois dans le bain, avec ses amis, l’ego vient mettre son grain de sel : une petite voix nous dit de ne pas sortir de l’eau le premier, d’essayer de sortir le dernier… Quand on est instructeur, cette petite voix peut s’intensifier si l’on n’y prend pas garde : je dois donner l’exemple en restant le plus longtemps, il en va de ma crédibilité etc… Alors qu’en fait pas vraiment… Plus que de performances, la Méthode Wim Hof est avant tout une exploration de sa vulnérabilité, du moins dans l’approche que j’essaye de transmette. J’avais survolé cet aspect dans mon billet sur la peur. Nous avons tous des limites différentes, et elles évoluent : la tolérance au froid augmente avec l’entrainement, diminue si l’on lève le pied sur la pratique, dépend de notre état de fatigue générale (mentale, physique) etc… L’important est d’apprendre à se connaître suffisamment pour savoir où on en est : est-ce que je me lance dans un bain de 5 minutes ou bien seulement 2 car j’ai trop mal dormi ? Suis-je totalement confiant avec la configuration « bain + météo difficile », ou bien je mets des bottillons en néoprène afin de limiter le stress sur les orteils ? Les autres, qu’ils vous accompagnent ou vous regardent sur les réseaux sociaux, doivent être un motif d’encouragements bienveillants, pas des compétiteurs.

Conclusion.

La plupart d’entre vous qui lisez ce billet sont vraisemblablement convaincus des bienfaits de la douche froide et certains savent combien le bain froid est une expérience bien plus méditative. Lorsque l’on a la chance de vivre ces bains en milieu naturel, l’expérience est encore plus belle : le mental se fond dans le calme de la scène; des sons d’oiseaux, du vent ou de la rivière; mais aussi des odeurs venant des sapins, de l’océans; viennent parfaire le décor. Cependant, le coût de cette idylle est un moindre contrôle sur les éléments, et donc plus de risques. Quand la météo est en plus (très) froide, le jeu avec l’inconfort est plus intense. Celui avec la sécurité aussi. J’espère vous avoir convaincu de l’importance de ne pas se mettre en danger stupidement. Pour cela, je vous invite à explorer vos limites graduellement et à surveiller votre ego. Mais la beauté de cela n’est pas tant de limiter les risques d’accident. C’est surtout une invitation à pratiquer sur le long terme et en apprenant à se connaître.

Soyez prudents et portez vous bien,

🔥❄️🧠✌️

Sébastien.

Sébastien Zappa, PhD

Maître Instructeur Oxygen Advantage
Moniteur REBO2T
Instructeur Méthode Wim Hof – niveau 2
Praticien ELDOA – niveau 2
Geek de la respiration et du froid, Homo cryopulmosapiens..

Heureux de vous coacher depuis 2018

1 réflexion sur “Bains glacés par temps (très) froid.”

  1. François Pitre

    Merci pour ce texte et tes conseils Sébastien.
    Tu y trace bien la ligne à suivre pour avancer chacun à son rythme.
    La limite entre mes limites mentales et les capacités de mon corps à composer avec le froid ne sont sûrement pas les mêmes. J’apprends à mieux les connaître à mesure que je pratique.

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