Mes hivers au bord du… enfin… dans le Saint-Laurent

N.B. : Ce texte est une version légèrement modifiée d’un article réalisé en collaboration avec le Centre de Recherche Interdisciplinaire en Études Montréalaises (Université McGill) sur la Nordicité Fluviale.

La baignade hivernale, en eau (très) froide, a des adeptes dans de nombreux pays. Cette pratique est traditionnelle dans les cultures scandinaves, baltes ou russes, où elle est en général associée au sauna par exemple. Au-delà de ces traditions iconiques, il semblerait que la nage en nature, dans de l’eau en général assez fraiche, soit une pratique populaire en Grande Bretagne. Par ailleurs, un ami me rapportait avoir vu des personnes âgées se baigner l’hiver dans les cours d’eau de Pékin. Enfin, l’eau froide (ou le froid en général) est utilisée dans des traditions yogiques en Inde ou au Tibet.

Je vis en Amérique du Nord depuis 2005 et pratique la baignade hivernale depuis 2017. Il ne m’a jamais semblé qu’une telle tradition existe dans cette partie du monde. Ce qui s’en rapproche le plus serait les baignades de groupe, en général festives, où les participants se jettent dans un lac gelé ou presque, et en ressortent presque immédiatement. Il s’agit souvent de célébrer un évènement, comme le Nouvelle An, et/ou récolter des fonds pour une cause. Il ne s’agit donc pas de pratique régulière mais d’événements ponctuels. Les personnes qui pratiquent la baignade hivernale le font en revanche de façon régulière. Cette pratique est en général associée à des croyances relatives à des bienfaits sur la santé (santé mentale, système immunitaire, système cardiovasculaire, système hormonal). Ces croyances peuvent aussi concerner des notions de médecines orientales. Démêler le vrai du faux de ces croyances, déterminer si de tels bénéfices ont été confirmés scientifiquement dépasseraient l’objectif de cet article. Pour le résumer très brièvement, il est actuellement prématuré d’affirmer avec certitude certains bienfaits et si ces derniers sont généralisables au plus grand nombre. Disons simplement que des indices montrent que la baignade hivernale est une pratique potentiellement bénéfique mais rappelons qu’elle peut être dangereuse si elle est pratiquée sans certaines précautions.

Qui sont les baigneurs hivernaux ?

Faute d’enquête sociologique, je partage uniquement mon ressenti en tant qu’acteur central et observateur de cette communauté au Québec, et particulièrement à Montréal. Je ne m’aventurerais pas à parler des profils socio-économiques mais je peux partager certains traits que j’ai vu émerger régulièrement. Notamment, il y a un désir récurrent de socialiser entre personnes partageant une certaine idée du dépassement personnel et/ou de la prise en main de sa propre santé. Cette envie de socialiser peut prendre la forme de rassemblements très festifs ou de moments de convivialité et de contemplation. Enfin, la baignade hivernale est typiquement le genre de pratique où le groupe, que ce soit une paire d’amis proches ou un rassemblement plus large, est une façon de se donner du courage, de la motivation et de maintenir une pratique régulière. Ceci étant dit, les baigneurs hivernaux solitaires existent, ainsi que les baigneurs alternant les pratiques solitaires et en groupe. On notera que cet état de lieux est biaisé car perçu en grande partie par le prisme des réseaux sociaux et par les échanges lors d’ateliers que j’anime.

Malgré le calme apparent du fleuve, la baignade est une expérience intense au coeur de l’hiver . Crédit : Cécile Berne.

Une tradition en construction à Montréal ?

Et quand le fleuve n’a pas l’air calme, la baignade demande encore plus de concentration et de précautions. Crédit : Mizar Fuentes-Ortega/Élyse Brodeur-Magna.

La baignade hivernale est une pratique beaucoup plus accessible que ce que sa réputation ou son image extrême laisse penser aux profanes. En respectant l’absence de contre-indications médicales et quelques règles élémentaires de sécurité, elle nécessite seulement un point d’accès à de l’eau et un peu de courage. Certaines conditions hivernales peuvent cependant nécessiter d’ouvrir un trou dans la glace, ce qui requière un peu de savoir-faire et de matériel. À Montréal, le Saint Laurent est un endroit particulièrement appréciable pour jouir de cette pratique tout en étant en ville. Tout autour de l’île, sur la côte nord comme au sud, il existe de nombreux accès à l’eau. De plus, la température de l’eau y est assez basse une très grande partie de l’année : elle tombe en dessous de 12°C dès octobre, se situe entre 0 et 5°C de novembre à avril et ne commence à remontrer au-dessus de 12°C qu’en mai1.

Bref, huit mois par an, le fleuve offre des conditions que les baigneurs hivernaux qualifieront volontiers d’acceptables voire d’épiques. Pendant une période de deux à trois mois, entre janvier et mars, l’accès à de l’eau liquide se complique et peut nécessiter la confection et l’entretien d’un trou dans la glace pour pouvoir se baigner. Ces conditions peuvent être prétextes à des moments de camaraderie mais peuvent aussi engendrer leurs lots de problèmes à la fois logistiques, légaux et communautaires. En effet, hormis l’accès à du matériel de base pour ouvrir la glace, telle une scie à glace, il est nécessaire de signaler la présence du trou afin d’éviter les accidents. On peut aisément imaginer les risques posés par un trou dans la glace sans une signalisation adéquate. Cette nécessaire signalisation est non seulement d’une question de civisme élémentaire mais aussi de responsabilité vis-à-vis de la loi. En effet, l’article 263(1) du Code criminel du Canada énonce :

« Quiconque pratique ou fait pratiquer une ouverture dans une étendue de glace accessible au public ou fréquentée par le public, est légalement tenu de la protéger d’une manière suffisante pour empêcher que des personnes n’y tombent par accident et pour les avertir que cette ouverture existe. »2

À ce titre, les baigneurs hivernaux peuvent se retrouver dans la même configuration que les adeptes de la pêche blanche. Mais tandis que la pêche blanche est une activité « mature » au Québec, car ancrée dans les mentalités, régulée et organisée, la baignade hivernale est une tradition en construction. Peu régulée, elle n’est pas reconnue comme une activité sportive et les pratiquants sont peu organisés. La pratique de la baignade hivernale tient de diverses initiatives personnelles que les adeptes mettent en place de façons isolées ou en tentant de fédérer des personnes partageant des intérêts communs. Il m’a semblé au cours de l’hiver 2021-2022 que cette pratique avait explosé. C’était mon troisième hiver à Montréal, où je suis arrivé en juillet 2019, et le premier où j’étais témoin d’un tel engouement.

Profiter d’une petite île de glace statique sur le Saint-Laurent, lors de la fonte. Crédit : Marc Romain.

Or, qui dit popularité dit augmentation non seulement du nombre de pratiquants mais aussi de divergences sur la gestion des espaces de baignade. En effet, des personnes vont s’investir physiquement dans l’organisation d’un trou de baignade et vont avoir à des frais de matériel (pour la signalisation typiquement). D’autres vont simplement profiter de l’existence de ce trou. Les risques de négligence concernant la signalisation mais aussi le vandalisme, problème classique en milieu urbain, peuvent attiser des inquiétudes : la personne qui laisse le trou dûment signalé est-elle toujours responsable si un utilisateur ne replace pas la signalisation et qu’un accident survient ? En outre, des divergences peuvent apparaître sur la façon d’aborder la pratique, entre les pratiquants matures et certains nouveaux adeptes encourageant un dépassement de soi potentiellement dangereux. Enfin, une illustration des conflits engendrés par une pratique qui n’est pas encore dans les mœurs m’a été rapporté par un pratiquant. Ce dernier se baignait lorsqu’un agent de police lui a ordonné d’interrompre sa baignade de façon très autoritaire. Il arguait que son devoir était de le protéger vis-à-vis d’une situation qu’il jugeait dangereuse, alors que le baigneur était en mesure de confirmer qu’il faisait cela de son plein gré. Cette rencontre était celle de deux mondes qui ne sont pas encore familiers l’un de l’autre. La police irait-elle se mêler de ce qui se passe sur un mur d’escalade ?

La force sublime du fleuve

Affirmer que « se baigner dans le fleuve permet de se rapprocher de la Nature » sonne comme un poncif éculé. Mais il arrive que les poncifs n’en reflètent pas moins notre ressenti. Si, comme moi, on pratique de façon régulière, à peu près toujours au même endroit et dans un état d’esprit contemplatif, alors l’environnement changeant du fleuve au fil des fins de semaines s’offre à vous. Dans le Saint-Laurent, la séquence de l’hiver devient évidente : la raréfaction des surfeurs, la dérive des premiers glaçons, l’admirable persistance des canards, le très grand froid qui semble tout paralyser, la dérive de plus gros glaçons, et le retour des carouges à épaulettes (et des surfeurs). Certes, on peut observer cette séquence en se promenant bien emmitouflé depuis la rive. Pourtant, faire l’expérience de cette séquence hivernale dans le fleuve, plutôt que juste à côté, nous révèle ce qu’Edward Abbey désignait par l’implacable indifférence de la nature sauvage3. Pour faire cette expérience, il s’était isolé dans le désert de l’Utah pendant des mois. Il avait approché la nature dans ce qu’elle a de sublime : les éléments, dans leur sérénité et leur brutalité, suivent leur marche indépendamment de nos états d’âmes, révélant au passage notre vulnérabilité face à eux. Le Saint-Laurent permet d’obtenir un avant-goût de ce ressenti tout en étant dans un environnement urbain facile d’accès et qui ne nécessite pas de s’installer en ermite… pour peu que l’on ait un peu de courage et que l’on ouvre les yeux.

Pour se mettre à cette pratique, vous trouverez 12 conseils à méditer dans mon blog4. J’en ajoute ici un treizième : le Saint-Laurent vous attend.

Sébastien

Point Info

Puisque vous êtes encore ici, et avant que vous ne partiez…
Sachez que chacun de mes billets de blog représentent en moyenne 10 à 20 heures de travail (parfois plus !), entre l’écriture, la lecture des articles scientifiques, les corrections si possible avec aide extérieure… Donc, si vous avez aimez ce billet, n’hésitez pas à la partager ! Merci !

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  1. « Water temperature in Montreal”. SeaTemperature.info. [https://seatemperature.info/montreal-water-temperature.html]. Consulté le 1 juin 2022.
  2. Gouvernement du Canada. « Obligation de protéger les ouvertures dans la glace ». Site Web de la législation (Justice). [https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/c-46/section-263.html?]. Consulté le 1 juin 2022.
  3. Abbey, Edward. Desert Solitaire, A Season in the Wilderness. 1968 (1985 edition). Ballantine Books. Random House Publishing group. New York. 352pp.
  4. Zappa, Sébastien. « 12 conseils pour commencer les bains froids ». RESPIRE | ALIGNE. [https://respire-aligne.com/fr/12-conseils-pour-commencer-les-bains-froids/]. Consulté le 1 juin 2022.

Sébastien Zappa, PhD

Maître Instructeur Oxygen Advantage
Moniteur REBO2T
Instructeur Méthode Wim Hof – niveau 2
Praticien ELDOA – niveau 2
Geek de la respiration et du froid, Homo cryopulmosapiens..

Heureux de vous coacher depuis 2018

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