running, woman, fitness-6252827.jpg

La respiration pour la course à pieds – partie 1

PARTIE 1 : Fonctions et limites de la respiration pendant la course

(Grand merci à MFV, PhD et multi-bostonienne, pour la relecture de ce manuscrit)

Si vous n’avez que quelques secondes :

Lors de la course à pieds, la dépense énergétique et la vitesse de locomotion augmentent. La fréquence et les volumes respiratoires s’adaptent en réponse et permettant de produire de l’énergie. Au-delà du métabolisme, la chaîne respiratoire facilite la locomotion. Dans certains cas liés à une faiblesse ou à une mauvaise utilisation de sa chaîne respiratoire (hyperinflation des poumons, détournement du sang, hyperventilation), la respiration peut être limitante et provoquer l’essoufflement.

Si vous avez quelques minutes, lisez la suite…

La maîtrise de la respiration est potentiellement bénéfique pour toute personne soumise à des contraintes pouvant impacter son état de stress, ses émotions, sa posture. Cela concerne à peu près tout le monde. Mais plus fondamentalement, la respiration est une réponse physiologique aux besoins énergétiques. L’activité physique implique une augmentation des besoins énergétiques (en plus d’impacter stress, émotions et posture). On comprend donc aisément que la maîtrise de la respiration peut être cruciale pour la pratique sportive. On ne peut que souhaiter que cela concerne le plus de monde possible, étant donné les bienfaits de l’activité physique (Kandola et al., 2019; Mok et al., 2019; Reimers et al., 2012). Une activité physique populaire est la course à pieds. Or, précisément, il fut un temps où je courais beaucoup. Sur route, sur sentier, trois fois par semaine au moins. Par séance de cinq, dix, vingt et même une quarantaine de kilomètres. J’aimais beaucoup cela. C’est pourquoi, quand je me documente sur la respiration en rapport à la pratique sportive, j’éprouve un intérêt particulier pour ce qui concerne la course à pieds, par rapport à des sports que je n’ai jamais pratiqués, comme le golf ou le curling.

C’est donc avec une grande attention que j’ai lu le récent article de Harbour et al. sur les outils respiratoires qui peuvent être utilisés pour améliorer la pratique de la course à pieds (Harbour et al., 2022). Cet article présente un état des connaissances sur la respiration lors de l’activité physique en général et la course à pieds en particulier. Plus particulièrement, il présente dans quelles conditions la respiration peut devenir un facteur limitant. Dans un second temps, l’article discute des outils respiratoires qui pourraient déplacer ces limites et améliorer la pratique.

L’objectif de ce billet de blog en deux parties est d’offrir un résumé de l’article de Harbour et al. accessible aux plus grands nombres tout en restant aussi précis que possible. Mon souhait est qu’un maximum d’adeptes de la course à pieds puissent avoir accès à ces connaissances sans forcément maîtriser la science et le jargon associés1.

Plutôt que de présenter d’emblée les outils respiratoires (que je réserve pour une seconde partie), il m’a semblé important de prendre le temps de résumer également les bases sur la respiration lors du sport et les problèmes qui peuvent survenir. C’est l’objectif de cette première partie. Cette démarche, je l’espère, en plus de respecter la méthodologie des auteurs de l’article original, convaincra les adeptes de la course à pieds du bien-fondé des outils. Je me suis permis d’apporter quelques commentaires personnels.

La respiration lors de la course à pieds

La respiration comme réponse métabolique

La respiration est un processus cellulaire de production d’énergie. Le bilan est la transformation de glucose (C6H12O6) et de dioxygène (O2) en gaz carbonique (CO2), eau (H2O), et énergie sous forme d’ATP. Lors de l’activité physique, les besoins énergétiques du corps augmentent. La respiration augmente en réponse à ces besoins énergétiques. Comment la respiration augmente-t-elle ? À l’échelle de l’organisme, cela se manifeste par une augmentation de la ventilation. Cette dernière correspond à la vitesse et à l’amplitude auxquelles on gonfle ses poumons. Augmenter la ventilation aura pour conséquence de fournir aux cellules plus d’O2 tout en se débarrassant du CO2, assurant ainsi la production d’énergie. Lors de l’activité physique, le volume d’air respiré par minute peut passer de 6 L/min à 150 L/min. Ce paramètre, appelé ventilation minute, se décompose lui-même en fréquence respiratoire (nombre de cycle respiratoire par minute) et volume respiratoire (litres d’air ventilé lors d’un cycle respiratoire). L’activité physique peut donc provoquer une augmentation de la fréquence respiratoire, du volume respiratoire, ou plus généralement des deux. Lorsque que l’activité physique se met en place, il semblerait que l’augmentation de la fréquence respiratoire soit l’adaptation initiale et que l’augmentation du volume respiratoire se mette en place plus graduellement2. Le tout s’équilibre en fonction de l’effort selon le « principe de l’effort minimal ». La fréquence respiratoire augmente jusqu’à 35-70 respirations par minute (contre 12-20 au repos, pour plus d’info sur la fréquence respiratoire, je vous renvoie ici) et le volume respiratoire à 50-60% de la capacité vitale (contre environ 13% au repos, N.B. : la capacité vitale correspond au volume pulmonaire « utilisable »). Au-delà de la ventilation minute, d’autres changements s’opèrent quand l’activité physique augmente. On observe typiquement un passage de la respiration nasale vers la respiration buccale quand on dépasse le seuil de 40 L/minute. De plus, le ratio entre durées d’inspiration et d’expiration est modifié. Légèrement, en faveur de l’expiration au repos, il s’équilibre voire privilégie l’inspiration lors de l’activité physique3.

La respiration comme aide à la locomotion

Les aspects précédents concernent la réponse respiratoire aux besoins énergétiques, en l’occurrence au métabolisme. Mais la respiration est connectée au système locomoteur, avec lequel elle est synchronisée. Cette synchronisation concerne non seulement les fréquences (synchronisation des fréquences respiration/minute et pas/minute), mais aussi certaines phases de la ventilation et du mouvement (telles que la synchronisation entre l’impact du pas et la fin de l’expiration). Elle est observée chez de très nombreux animaux. La course à pieds consiste précisément à augmenter l’activité du système locomoteur. Il est donc facile d’imaginer que la synchronisation ventilation-locomotion peut être affectée par une telle activité. Contrairement aux quadrupèdes, les humains, de par leur bipédie, ont une plus grande liberté de moduler cette synchronisation. La synchronisation ventilation-locomotion semble s’installer naturellement dès lors qu’une activité physique rythmique se met en place (marcher, courir, ramer, etc…). La course à pieds présente des aspects assez spécifiques, quant à cette synchronisation. Par exemple, le modèle du « piston viscéral » décrit comment les viscères abdominaux bougent et entraînent le mouvement du diaphragme lors de la course à pieds. Si les pas et la respiration sont synchronisés, le piston viscéral va aider le diaphragme. À l’inverse, sans synchronisation, le diaphragme devrait dépenser de l’énergie supplémentaire pour assurer son mouvement. Aider des bras accompagnant le mouvement de la course, ce piston viscéral peut contribuer à 10-12% de la ventilation minute. Il semblerait que cette synchronisation se mette en place relativement spontanément, mais qu’elle puisse néanmoins être affinée par l’intensité, la vitesse d’exécution du mouvement mais aussi par l’entraînement.

Quand la respiration limite la course à pieds

Comme nous l’avons vu précédemment, la respiration augmente en intensité en réponse à l’activité physique afin de répondre à la demande énergétique. Ce processus est inconscient et fonctionne dans l’ensemble très bien. Il existe cependant des situations où le système respiratoire est limitant, par exemple dans la haute intensité (au-dessus de 80-85% de la VO2max), dans des conditions extérieures spécifiques (hypoxie en altitude, climats trop humide ou trop sec). Mais on notera que, malgré une bonne santé et une intensité modérée, entre 20 et 40% des adeptes de la course à pieds font l’expérience d’une sensation d’essoufflement. On parle alors de dyspnée induite par l’exercice. Ce phénomène limite la performance physique, ce qui installe un état psychologique négatif, qui renforce la sensation d’essoufflement… et ces trois composantes (essoufflement, baisse de performance, état psychologique négatif) se renforcent mutuellement. Les auteurs de l’article résumé ici formulent l’hypothèse que, hors état pathologique particulier, la plupart des expériences d’essoufflement induit par l’exercice trouve leur origine (du moins en partie) dans une respiration sous-optimale, ou dysfonctionnelle, et décrivent trois dysfonctionnements du système respiratoire lors de l’activité physique.

L’hyperinflation des poumons

L’augmentation de la ventilation lors de l’exercice physique peut induire une relative obstruction du larynx, par des principes de physique, tel le principe de Bernouilli. Cela est particulièrement problématique lors d’efforts de haute intensité, mais jusqu’à 20% des sportifs peuvent en faire l’expérience en intensité modérée (notamment chez les athlètes de haut-niveau, les femmes, les adolescents et les personnes en surpoids). Ce phénomène peut être favorisé par une respiration thoracique dominante et une hypertonicité des muscles abdominaux (qui gêne la respiration abdominale et favorise la respiration thoracique). Cette obstruction va perturber le flux d’air et peut provoquer un phénomène « d’empilement des cycles respiratoires » : les inspirations prennent le dessus sur les expirations, ne permettant plus aux poumons de revenir à un volume de base. On aboutit alors à une hyperinflation des poumons : ces derniers sont constamment « surgonflés ». Le problème d’une telle configuration est que les parois pulmonaires ont alors peu d’élasticité et la ventilation va demander de fournir plus d’effort. De plus, le diaphragme a alors peu de mobilité et est peu efficace pour participer à l’effort de ventilation. Cette situation est ainsi contre-productive : la ventilation augmente initialement pour combler une hausse de demande énergétique, mais cette même ventilation demande de plus en plus d’efforts, qui viennent empirer la dépense énergétique totale, et finalement l’organisme ne parvient pas à combler cette dépense.

Le détournement du sang

Le sang achemine l’O2 vers les différents systèmes dans l’organisme qui l’utilisent pour produire de l’énergie en fonction des besoins. L’expression « détournement du sang » désigne comment différents systèmes peuvent se disputer les ressources énergétiques disponibles. Lors d’une course à pieds, le système locomoteur consomme plus d’énergie. Pour produire cette énergie, il est alimenté par les systèmes respiratoire et cardiovasculaire. Mais ces derniers ont également besoin d’énergie. Quand tout se passe bien, il y a une relative harmonie entre les systèmes, permettant en bout de chaîne au système locomoteur de monter en intensité. Or, dans certaines conditions, la distribution de ces ressources n’est plus efficace et va, typiquement, pénaliser le système locomoteur et les performances de course. Cette « brisure d’harmonie » peut être provoquée par différents événements. Par exemple, lors d’un effort intense, l’augmentation de la pression intra-thoracique peut affecter négativement les performances cardiaques, et donc le sang aura plus de difficultés à alimenter les membres. De plus, les muscles de la ventilation peuvent devenir de plus en plus gourmands en énergie si un effort intense est maintenu. Le diaphragme, qui consomme 3-5% de l’O2 total lors d’un effort modéré, va arriver à une consommation de 10-16%. Il faut ajouter à cela celle des autres muscles respiratoires. Cela peut provoquer un relatif détournement du sang alimentant les membres du système locomoteur vers les muscles respiratoires. On appelle ce phénomène le métaboréflexe. Enfin, on peut signaler que l’hyperinflation décrite ci-dessus participe probablement à ce phénomène étant donné qu’elle impose une surcharge énergétique au système. Ce détournement des ressources énergétiques pénalise le système locomoteur et par-là l’expérience de la course à pieds.

L’hyperventilation

Comme cela a été expliqué précédemment, un effort physique va augmenter l’activité du système respiratoire afin de pallier les besoins énergétiques. Cette augmentation se caractérise par une augmentation de la fréquence et de l’amplitude respiratoire. Dans la grande majorité des cas, la réponse du système respiratoire est adaptée à la demande. Mais dans certains cas, le système « s’emballe » en quelque sorte. En effet, il se peut que, afin de fournir un volume d’air adéquat par minute, la fréquence respiratoire soit favorisée au détriment de l’amplitude. Il semblerait que les femmes soient plus prédisposées à cela, en raison notamment d’un volume pulmonaire en moyenne plus petit. Cela tend ainsi à accélérer la respiration, la capacité pulmonaire critique étant plus vite atteinte. De plus, la course à pieds, en comparaison à d’autres activités, favoriserait la fréquence respiratoire relativement à l’amplitude. Cela viendrait notamment du fait que le diaphragme doit assurer deux fonctions antagonistes entre engagement dans le maintien postural et mobilité pour la ventilation. Mais aussi la rythmicité de la course à pieds tendrait à imposer au pratiquant une cadence qui favorise une plus grande fréquence plutôt qu’une plus grande amplitude. D’ailleurs, cela semble être encore plus marqué dans les pentes (20-30% de gradient) où la coordination thoracico-lombaire est diminuée, affectant la ventilation en conséquence. Or, une fréquence respiratoire trop élevée, quand le système s’emballe trop, peut aboutir à une hyperventilation. Cette dernière est caractérisée par une diminution de la teneur en CO2 dans le sang. Par un mécanisme purement biochimique, les tissus périphériques sont alors moins alimentés en O2 et la fatigue du système locomoteur s’installe plus rapidement4. De plus, une faible teneur en CO2 dans le sang tend à atteindre un plafond d’amplitude respiratoire plus précoce. Ceci sera donc compensé en augmentant la fréquence, encourageant un cercle vicieux. Enfin, une haute fréquence respiratoire peut favoriser la mise en place de l’hyperinflation des poumons, comme cela a été expliqué plus haut. Au final, l’hyperventilation va avoir un impact négatif sur la pratique de la course à pieds.

Conclusion

Dans cette première partie, nous avons vu que, lors de la course à pieds, la dépense énergétique et la vitesse de locomotion augmentent. La fréquence et les volumes respiratoires s’adaptent en réponse et permettant de produire de l’énergie. Au-delà du métabolisme, la chaîne respiratoire facilite la locomotion. Cette adaptation se fait en général bien. Mais dans certains cas, une faiblesse et/ou une mauvaise utilisation de sa chaîne respiratoire peuvent provoquer hyperinflation des poumons, détournement du sang et hyperventilation. Il est intéressant de noter que ces trois problèmes peuvent être interconnectés et peuvent se renforcer entre eux. La respiration est alors limitante et cela va provoquer l’essoufflement. Maintenant que nous connaissons les mécanismes principaux d’une respiration dysfonctionnelle pouvant limiter la course à pieds, nous pouvons nous poser la question : y-a-t ’il des outils respiratoires qui peuvent être mis en place afin que la respiration ne soit pas limitante ? C’est précisément l’objectif de la seconde partie de cet article.

Point Info

Puisque vous êtes encore ici, et avant que vous ne partiez…
Sachez que chacun de mes billets de blog représentent en moyenne 10 à 20 heures de travail (parfois plus !), entre l’écriture, la lecture des articles scientifiques, les corrections si possible avec aide extérieure… Donc, si vous avez aimez ce billet, n’hésitez pas à la partager ! Merci !

🔥❄️🧠✌️

Sébastien.

1 Je suis moi-même loin de maîtriser totalement la physiologie du sport, car ça n’est pas ma spécialité. Cette dernière concerne des entités biologiques bien plus petites, les bactéries. Je me base sur mes bases en biologie générale et l’apprentissage autodidacte de la physiologie pour fournir ces billets de blog. D’ailleurs, je ne prétends pas non plus être un coach de course à pieds. Juste un moniteur de respiration qui vient mettre son grain de sel dans ce domaine, car il n’y a rien de tel qu’un peu de transdisciplinarité.

2 En termes savants, on dirait que la tachypnée précède l’hyperpnée afin de réguler l’homéostasie respiratoire. Utile pour le scrabble.

3 Cela implique d’ailleurs une régulation des vitesses d’inspiration et d’expiration afin de maintenir un volume respiratoire stable.

4 Quand la teneur en CO2 dans le sang diminue, on parle d’hypocapnie. La quantité de CO2 dans le sang détermine le pH du sang. L’hypocapnie modifie donc le pH sanguin en le rendant plus alcalin. Or, la liaison chimique entre l’hémoglobine et l’O2, dans l’oxy-hémoglobine, est dépendante du pH. Plus le pH est alcalin, plus cette liaison est forte et plus la libération de l’O2 vers les tissus est difficile. Il s’agit de l’effet Bohr.

Références :

Harbour, E., Stöggl, T., Schwameder, H., & Finkenzeller, T. (2022). Breath Tools: A Synthesis of Evidence-Based Breathing Strategies to Enhance Human Running. Frontiers in physiology13, 813243. https://doi.org/10.3389/fphys.2022.813243

Kandola, A., Ashdown-Franks, G., Hendrikse, J., Sabiston, C. M., & Stubbs, B. (2019). Physical activity and depression: Towards understanding the antidepressant mechanisms of physical activity. Neuroscience and biobehavioral reviews107, 525–539. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2019.09.040

Mok, A., Khaw, K. T., Luben, R., Wareham, N., & Brage, S. (2019). Physical activity trajectories and mortality: population based cohort study. BMJ (Clinical research ed.)365, l2323. https://doi.org/10.1136/bmj.l2323

Reimers, C. D., Knapp, G., & Reimers, A. K. (2012). Does physical activity increase life expectancy? A review of the literature. Journal of aging research2012, 243958. https://doi.org/10.1155/2012/243958

Sébastien Zappa, PhD

Maître Instructeur Oxygen Advantage
Moniteur REBO2T
Instructeur Méthode Wim Hof – niveau 2
Praticien ELDOA – niveau 2
Geek de la respiration et du froid, Homo cryopulmosapiens..

Heureux de vous coacher depuis 2018

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *