Neurosciences de la respiration nasale unilatérale

Si vous n’avez que quelques secondes :

La respiration nasale obéit à un cycle alternant l’état de congestion/décongestion entre les deux narines. La respiration nasale unilatérale consiste à bloquer une narine pour respirer par une seule. La respiration nasale a un effet sur l’activité cérébrale donc la compréhension scientifique ne fait pas encore consensus. Une étude récente indique que la respiration nasale unilatérale par la narine gauche pourrait favoriser l’état méditatif. Mais c’est probablement plus compliqué que cela donc…

…si vous avez quelques minutes, lisez la suite…

Certaines techniques respiratoires consistent à forcer la respiration nasale par une seule narine au lieu de deux. On parle alors de respiration nasale unilatérale (RNU). Selon l’exercice, cette dernière peut être maintenue ou alternée entre les deux narines. De telles techniques sont notamment emblématiques du yoga et plus particulièrement sa branche appelé pranayama. Dans le cadre théorique du pranayama, elles permettent un travail sur le prana, ou « énergie vitale ». N’étant pas moi-même expert de cet aspect, je ne peux pas en dire beaucoup plus. En revanche, en tant que curieux versé sur les sciences et plus particulièrement la biologie, je me suis régulièrement demandé comment interpréter ces techniques respiratoires d’un point de vue strictement biologique. Faute de mieux, j’en avais une interprétation très basique : bloquer une narine augmente la résistance au flux d’air ; ce faisant, afin de respirer un volume d’air suffisant, la personne compense par des respirations plus lentes et plus profondes. Cela stimule alors l’utilisation du diaphragme et donc son renforcement. De plus, selon les personnes, cela peut révéler une sensibilité au CO2 et permet de commencer un travail plus spécifique sur cet aspect.

On peut comprendre que de telles exercices peuvent aider beaucoup de personnes. Mais ces bienfaits sont déjà assurés par d’autres techniques. Donc, il est légitime de se demander si les techniques de RNU proposent des effets, voire des bienfaits, plus spécifiques que les autres techniques de respiration consciente n’offrent pas. Précisément, les techniques yogiques de RNU prétendent avoir une influence sur l’activité cérébrale. Le yoga offre une grande quantité de savoir traditionnel, incarné par des pratiques et des textes parfois anciens, parfois récents. Si ce savoir mérite clairement qu’on s’y intéresse, il n’est pas toujours facile de l’approcher par la méthode scientifique. Typiquement, le mouvement du prana n’a pas actuellement de définition scientifique, et est par conséquent hors du champs actuel de la recherche scientifique. Mais lorsque les yogis prétendent que la RNU peut modifier l’activité cérébrale, c’est une autre histoire. En effet, l’activité cérébral est bien un objet de recherche scientifique, en l’occurrence des neurosciences. Donc, on peut espérer trouver des éléments de réponses sur un tel sujet. Récemment, le camarade spirophile Yvan Cam, également porté sur la chose scientifique, a écrit un article sur la question, que je recommande d’aller lire. En outre, un article scientifique a été publié sur le sujet dans Scientific Reports assez récemment, en janvier 2021 (Niazi et al., 2021). Cela a aiguisé ma curiosité et m’a donné envie d’écrire sur le sujet, de partager avec vous ce que j’en ai compris.

Posons le décor.

Des recherches se posent la question de la relation entre RNU et activité cérébrale : respirer par la narine gauche ou droite uniquement induit-il une activité cérébrale particulière ? Cette question est intéressante à plusieurs titres. En effet, si une activité cérébrale particulièrement désirable est inductible en respirant par telle ou telle narine, alors on devrait pouvoir mettre en place une telle activité par l’exercice de RNU approprié. Les conséquences pourraient même être d’ordre thérapeutique. À ce propos, certaines équipes de recherche préconisent d’ores-et-déjà des exercices de RNU comme traitement non-invasif de certains problèmes psychiatriques ou afin d’aider à retrouver l’usage de la parole après un AVC (Price & Eccles, 2016). Notons toutefois que ces protocoles nécessitent d’être confirmés.

Prenons le temps de décortiquer tout cela.

La respiration nasale obéit à un cycle ultradien.

Les systèmes biologiques (cellules, tissus, organismes, écosystèmes) présentent de nombreux cycles, enchevêtrés les uns aux autres, que les biologistes aiment définir relativement à la durée d’une journée. Il y a ainsi des cycles d’environ une journée, les cycles circadiens. Chez les animaux, comme les humains, ils rythment les comportements alimentaires, l’alternance veille-sommeil, la température interne… On trouve aussi des cycles infradiens, qui durent plus d’une journée (cycle menstruel, hibernation…). Enfin, les cycles ultradiens durent moins d’une journée. Les exemples sont nombreux, on y trouve certaines sécrétions hormonales, le clignement des paupières, les pulsations cardiaques, etc… et le cycle nasal ! Ce dernier a été apparemment décrit pour la première fois en 1895 dans la littérature médicale. Brièvement, les deux voies nasales comprennent des muqueuses indépendantes. La vaso-constriction ou -dilatation des vaisseaux sanguins qui irriguent ces muqueuses résulte respectivement en congestion ou décongestion de la voie nasale. La voie nasale décongestionnée est en phase de travail : le flux d’air est important et l’air est conditionné à la bonne température et la bonne humidité avant d’aller plus profondément dans le système respiratoire. La voie nasale congestionnée est en phase de repos : le flux d’air est moindre. La durée de ce cycle est variable, entre 2 heures et 4,5 heures selon si l’on est en veille ou sommeil. De plus, la durée du cycle mais aussi son amplitude sont perturbés par des facteurs externes (stimulus environnemental, position du corps, activité physique…) (Kahana-Zweig et al., 2016). On remarquera au passage un bel exemple d’imbrication de cycles biologiques : le cycle nasal varie en fonction de l’état de veille qui est régulé par le cycle circadien.

Au niveau neurologique, le cycle nasal est sous le contrôle de l’hypothalamus. Celui-ci entraîne une excitation du système nerveux sympathique qui, via un oscillateur du tronc cérébral, sera asymétrique entre les deux voies nasales. Il y a alors vasoconstriction d’un côté et vasodilatation de l’autre. Et ainsi, un côté est plus congestionné que l’autre.

Quel est l’importance de comprendre ce cycle nasal ? En fait, forcer la respiration unilatérale en se bouchant une narine ne consiste finalement qu’à exagérer un phénomène qui a lieu naturellement. Donc, si ce cycle a une ou plusieurs fonctions biologiques précises, on peut imaginer les déclencher simplement… en se bouchant une narine.

Activités nasale et cérébrale

L’hypothalamus est donc le chef d’orchestre du cycle nasal. Mais ce cycle est-il connecté à des parties plus complexes du cerveau ? En outre, ce cycle nasal est-il sous influence du système nerveux central ou bien influence-t-il ce dernier ? Et particulièrement, est-ce que l’on peut établir une relation en le cycle nasal et le cycle cérébral, à savoir l’alternance de l’activité en les deux hémisphères cérébraux ? C’est ici qu’interviennent à la fois les textes classiques du yoga, et des études de neurosciences. Et c’est aussi ici que les choses se compliquent.

En effet, les textes classiques de yoga peuvent être difficiles à interpréter et donc à tester dans un laboratoire de neuroscience. De plus, les études de neurosciences ne sont pas pour l’instant pas arrivées à un consensus. Regardons cela de plus près.

En 2016, Price et Eccles ont synthétisé un état des connaissances sur la relation entre les activités nasale et cérébrale (Price & Eccles, 2016). Ils abordent la question sous deux angles : top-down – l’activité cérébrale détermine l’activité nasale ; et bottom-up – l’activité nasale détermine l’activité cérébrale.

Concernant un déterminisme top-down (l’activité cérébrale détermine l’activité nasale), ils proposent que l’asymétrie de l’activité cérébrale entre les deux hémisphères pourraient être transmise aux oscillateurs du tronc cérébral qui, à son tour, transmettrait cette asymétrie vers les cavités nasales. Ce modèle repose notamment sur des observations de gauchers et de personnes souffrant de schizophrénie ou d’autisme. Dans l’ensemble, le niveau de preuve semble assez faible. Donc, à ce stade, on ne sait pas trop.

Du côté du déterminisme bottom-up (l’activité nasale détermine l’activité cérébrale), il y a un peu plus de certitude. En effet, dans les cavités nasales, le nerf trijumeau détecte le refroidissement de l’air lors de l’inspiration et cela augmente l’activité cérébrale. Cela se confirme notamment en stimulant spécifiquement le nerf trijumeau tandis que ça n’est pas observé en stimulant les nerfs olfactifs. Donc, on commence à voir se dessiner un début de relation bottom-up entre la respiration nasale et l’activité cérébrale. Des conclusions allant dans les mêmes directions ont pu être tirées en étudiant certaines formes d’épilepsie, pour lesquelles une crise peut être déclenchée en surexcitant une cavité nasale. Bref, il semble bien y avoir un lien bottom-up entre activités nasale et cérébrale. Mais quoi plus précisément ? Viennent alors une série d’études mesurant l’activité cérébrale, notamment par électroencéphalogramme, lors de séances de RNU comme on peut en faire au yoga. Les résultats de ces études semblent très divers et parfois conflictuels. Ils sont souvent difficiles à interpréter et à relier les uns au autres, car les études sont souvent réalisées sur des cohortes très petites, utilisent des méthodes assez différentes pour faciliter les comparaisons et négligent certains facteurs confondants. Il serait fastidieux de toutes les rapporter mais on peut citer que certaines études rapportent un changement d’hémisphère actif après environ deux minutes de RNU. D’autres rapportent que la RNU gauche stimule l’hémisphère droit tandis que la RNU droite ne stimule rien… Mais certains auteurs rapportent l’inverse, à savoir que la RNU droite stimule l’hémisphère gauche tandis que la RNU gauche n’a pas d’effet…

Au final, les auteurs de cette revue bibliographique conclue, avec prudence car les données manquent encore de robustesse, qu’il est probable que la RNU d’une narine renforce l’activité cérébrale de l’hémisphère opposé (Price & Eccles, 2016). Dans leur récente étude, Niazi et al. ont testé cette hypothèse dite de « l’activation avec biais controlatéral » (Niazi et al., 2021).

Nez : gauche, droite. Cerveau : gauche, droite, avant, arrière

Mais Niazi et al. décrivent que l’activité cérébrale n’est pas limitée à une opposition entre hémisphères. En effet, pour un hémisphère donné, l’activité de la région postérieure est associée à un relatif repos de la région antérieure ; et réciproquement. D’après ce modèle, l’activité cérébrale peut donc être analysée selon deux axes : l’axe latéral gauche-droite; et l’axe longitudinal antéropostérieur. Cette équipe a étudié l’impact de la RNU sur l’activité cérébrale, par électroencéphalogramme, de 19 femmes et 11 hommes, âgés entre 20 et 53 ans, droitiers (sauf un ambidextre) et en bonne santé. On notera que, pendant l’enregistrement de leur activité cérébrale, les sujets regardaient un film muet et étaient informés d’un possible examen à la fin de la séance. Le but était de les distraire de penser à leur respiratoire et de ne pas induire un effet « relaxation par la pleine conscience ». Pendant la séance, les narines des participants étaient alimentées par de l’air de façon à introduire un déséquilibre entre la prise d’air à gauche et à droite. Le test dure environ 25-30 minutes : le temps de déterminer la narine dominante (décongestionnée) du sujet, puis d’alimenter principalement celle-ci pendant 10 minutes en enregistrant l’activité cérébrale, ensuite de modifier le flux d’air afin d’alimenter principalement la narine non-dominante (=congestionnée) toujours en enregistrant l’activité cérébrale.

Les principaux résultats confirment que la RNU a bien des effets sur l’activité cérébrale. Mais quels sont ces effets ?

Tout d’abord, cette étude n’a pas confirmé l’hypothèse stipulant que la RNU stimulerait l’hémisphère cérébrale opposé, le « biais controlatéral » cité plus haut. En fait, il a été montré ici non seulement que les deux hémisphères étaient globalement activés de façon égale lors de la RNU droite, mais aussi que les deux hémisphères étaient globalement calmés de façon égale lors de la RNU gauche. D’une manière générale, cela indique que la RNU droite favorise une activité cérébrale plus importante tandis que la RNU gauche permet le repos, l’introspection, la récupération. Si l’on regarde plus en détail, la RNU gauche diminue certes l’activité cérébrale globalement, mais localement elle augmente l’activité dans la région postérieure du cerveau. Une telle hausse d’activité dans ces régions est typiquement observée lors de période de relaxation, de réparation, de méditation. Les auteurs indiquent que la RNU gauche pourrait ainsi être un outil pour induire un tel état, qui correspond au fonctionnement du cerveau « par défaut », qui serait la signature de notre « monde intérieur ».

Concluons.

Cette étude récente a clairement un intérêt : celui de confirmer que la RNU modifie l’activité cérébrale. Ainsi, c’est une pièce de plus dans l’édifice consistant à dire que l’on peut modifier son activité cérébrale par la respiration. De plus, rappelons que les sujets se contentaient de respirer tout en ayant leur attention captivée par un film. Donc l’activité cérébrale est modifiée par la respiration nasale sans même qu’il y ait une pratique de type « respiration consciente ». C’est à mes yeux un point très important de l’étude : l’activité cérébrale est modifiée par la RNU en absence d’une composante psychologique. En pratique, cela signifie que l’on pourrait modifier l’activité cérébrale simplement se bouchant une narine (à l’aide d’un coton par exemple) tout en faisant des tâches qui nous occupent l’esprit (lire, regarder la télé, écrire etc). Cet aspect peut sembler être une simple modalité de confort, mais cela peut être crucial pour les personnes qui ont des difficultés à contrôler leur attention. On peut aussi imaginer que l’addition d’exercices de respiration consciente de RNU pourraient étendre le contrôle de l’activité cérébrale. Pour cela, il semblerait que l’état des connaissances ne permette pas encore de déterminer avec certitude quel protocole respiratoire de RNU induit quel effet sur le cerveau.

Un point un peu obscur, à mon sens, de cette étude concerne l’établissement de la narine gauche ou la narine droite comme déterminante pour modifier l’activité cérébrale. En fait, il semblerait que la question se pose en termes de narine dominante/non-dominante. Or, chez quasi tous les sujets de l’étude, la narine non-dominante s’est avérée être la narine gauche. Donc on peut se demander si l’élément déterminant est le paramètre dominant/non-dominant ou bien droite/gauche. Si le paramètre déterminant est dominant/non-dominant, alors les conclusions des auteurs sont à prendre avec des pincettes lorsque la dominance est à gauche. Comme on l’a vu, le cycle nasal modifie la dominance au cours de la journée. De plus, la dominance peut varier d’une personne à l’autre, avec un biais possible (mais à prendre avec prudence) chez les gauchers (Price & Eccles, 2016).

D’une manière générale, cette étude, en venant confirmer certaines études mais contredire d’autres, soulignent à quel point la thématique de recherche sur les neurosciences de la RNU a encore beaucoup de chemin à parcourir avec d’établir un consensus. Les années à venir apporteront leur lot de nouvelles connaissances à n’en point douter.

Point Info

Puisque vous êtes encore ici, et avant que vous ne partiez…
Sachez que chacun de mes billets de blog représentent en moyenne 10 à 20 heures de travail (parfois plus !), entre l’écriture, la lecture des articles scientifiques, les corrections si possible avec aide extérieure… Donc, si vous avez aimez ce billet, n’hésitez pas à la partager ! Merci !

🔥❄️🧠✌️

Sébastien.

Références :

Kahana-Zweig R, Geva-Sagiv M, Weissbrod A, Secundo L, Soroker N, Sobel N. Measuring and Characterizing the Human Nasal Cycle. PLoS One. 2016 Oct 6;11(10):e0162918. doi: 10.1371/journal.pone.0162918. PMID: 27711189; PMCID: PMC5053491.

Price A, Eccles R. Nasal airflow and brain activity: is there a link? J Laryngol Otol. 2016 Sep;130(9):794-9. doi: 10.1017/S0022215116008537. Epub 2016 Aug 1. PMID: 27477330.

Niazi IK, Navid MS, Bartley J, Shepherd D, Pedersen M, Burns G, Taylor D, White DE. EEG signatures change during unilateral Yogi nasal breathing. Sci Rep. 2022 Jan 11;12(1):520. doi: 10.1038/s41598-021-04461-8. PMID: 35017606; PMCID: PMC8752782.

Sébastien Zappa, PhD

Maître Instructeur Oxygen Advantage
Moniteur REBO2T
Instructeur Méthode Wim Hof – niveau 2
Praticien ELDOA – niveau 2
Geek de la respiration et du froid, Homo cryopulmosapiens..

Heureux de vous coacher depuis 2018

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