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Méthode Wim Hof et la confusion d’E. coli

Si vous avez quelques secondes :

Le protocole de l’endotoxine d’E. coli permet d’étudier les effets d’une intervention, en l’occurrence la pratique de la Méthode Wim Hof, sur l’inflammation aigüe. Il ne permet pas de tirer de conclusion sur le combat des infections.

Si vous avez quelques minutes, continuez à lire…

Cela fait longtemps que je songe à écrire ce billet. Depuis que j’ai commencé la pratique de la Méthode Wim Hof, je vois régulièrement une confusion qui fait mal au microbiologiste que je suis, à savoir la confusion entre « E. coli » et « endotoxine d’E. coli ». Cette confusion, je la vois depuis des années dans des articles, des discussions sur les réseaux sociaux, et je l’entends de la part d’élèves à mes ateliers. Cette erreur semble s’être hélas installée dans toutes les couches des pratiquants de la MWH, même à très haut niveau.

Et c’est très regrettable, comme nous allons le voir.

Je passe donc toujours un certain temps, lors de mes ateliers, à défaire cette confusion. En effet, la popularité toujours croissante de la MWH s’est faite non seulement sur le charisme et les exploits de son fondateur, mais aussi sur une série d’études scientifiques impliquant l’injection d’endotoxine d’E. coli. Ce protocole d’injection d’endotoxine d’E. coli a été en effet utilisé lors des trois études sur les effets de la MWH sur l’inflammation aigüe, réalisées sur Wim Hof ou sur des cohortes de sujets entraînés (Kox et al., 2012; Kox et al., 2014; Kox et al., 2022).

Comprendre ce protocole est ainsi crucial pour interpréter ce que la science nous permet de comprendre à propos de la MWH. Il s’agit bien sûr de l’état des connaissances actuel et jusqu’à preuve du contraire, car la science est un chantier en perpétuel évolution.

Comprendre ce protocole n’est pas un snobisme d’expert pointilleux. Il s’agit avant tout d’acquérir les bonnes connaissances afin de ne pas baser sa pratique sur des croyances dont les conséquences pourraient être fâcheuses. On va voir pourquoi.

Donc, allons-y, dans les trois études, l’inflammation aigüe a donc été induite par injection d’une endotoxine d’E. coli. Mais qu’est-ce qu’une endotoxine ? Et pour commencer, qu’est-ce qu’E. coli ?

Qu’est-ce qu’E. coli ?

Les bactéries font partie des organismes vivants microscopiques composés d’une seule cellule. Comme pour l’ensemble du vivant, les bactéries sont représentées par différentes espèces. Derrière l’abréviation E. coli se cache le nom complet d’une espèce bactérienne, Escherichia coli. Il s’agit d’une espèce bactérienne très bien connue des microbiologistes, sans doute la mieux connue. Elle a la forme d’un bâtonnet d’une millième de millimètre de long. Historiquement, elle a été observée en abondance dans les excréments des mammifères, humains et non-humains, d’où le nom d’espèce coli – du colon. La facilité de la trouver et de la cultiver en condition de laboratoire en ont fait rapidement une « bactérie modèle de laboratoire ». Plus tard, une telle domestication a permis une quantité incroyable de découvertes sur la génétique, la structure des protéines, le génie génétique etc. En microbiologie, il est rare que l’on se contente de l’espèce, on aime regarder aussi les sous-espèces, voire les différentes souches d’une même espèce. Ainsi, si nos intestins sont occupés par des souches inoffensives d’E. coli, ils existent aussi des souches pathogènes. Les souches inoffensives font partie de notre microbiote intestinal et peuvent par exemple produire de la vitamine K-2 qui nous est utile. En revanche, les souches pathogènes peuvent provoquer des intoxications alimentaires ou des infections urinaires.

Donc, maintenant que vous maîtrisez E. coli, parlons de son endotoxine.

L’endotoxine est un extrait bactérien. Un grand nombre de bactéries, dont E. coli, possèdent une barrière avec l’extérieur composée de plusieurs couches : une membrane interne, entourée d’un maillage intermédiaire, entouré lui-même d’une membrane externe, elle-même enfin recouverte de « décorations ». Ces dernières se présentent comme un réseau de molécule attachées à la membrane externe et composées de lipides et de sucres (des polysaccharides)1. Cette composition donne son nom à ce réseau : le lipopolysaccharide (LPS). Il s’agit du nom que l’on retrouve dans les articles scientifiques, dont ceux concernant l’études de la MWH (Kox et al., 2012; Kox et al., 2014; Kox et al., 2022). L’appellation LPS désigne la même chose que l’endotoxine. Ainsi, l’endotoxine/LPS est une grosse molécule. Elle n’est pas vivante comme une bactérie, et n’a pas de matériel génétique comme un virus : il ne peut pas se multiplier, et donc n’est pas infectieuse.

Le diagramme ci-dessous donne une idée assez précise de l’organisation de la membrane des bactéries comme E. coli. On y voit les lipopolysaccharides (endotoxine/LPS). De par leur extension vers l’extérieur de la cellule, ils sont en première ligne pour rencontrer le système immunitaire, au cas où la cellule se retrouverait dans le sang d’un organisme hôte.

Source : Wikipedia (https://en.wikipedia.org/wiki/Bacterial_outer_membrane)

Mais alors, en quoi consiste le protocole d’injection d’endotoxine ?

L’injection d’endotoxine/LPS dans le sang des sujets provoque une endotoxémie caractérisée par une inflammation systémique. Ce protocole est utilisé depuis les années 1960 (Calvano & Coyle, 2012). Il est couramment pratiqué par le Centre Universitaire Médical de Radboud où les études sur la MWH qui nous intéressent ont été réalisées. L’inflammation systémique se caractérise notamment par des symptômes de type grippaux (mal de tête, fièvre, mal au dos…) que le sujet peut reporter dans un questionnaire. Mais les chercheurs ont aussi accès à des marqueurs objectifs de l’inflammation : les cytokines dans le sang. Ces molécules sont des petites protéines qui permettent aux cellules de se parler à distance et notamment de moduler l’activité du système immunitaire. L’inflammation correspond à l’activation du système immunitaire innée, la partie non-spécifique du système immunitaire, qui déclenche le branle-bas de combat lorsqu’un intrus est détecté dans l’organisme. En outre, l’activation du système immunitaire inné permet de mobiliser l’autre partie du système immunitaire : le système immunitaire adaptatif qui, lui, apportera une réponse spécifique à l’intrus détecté.

Un test de l’inflammation, pas de l’infection

Le point crucial qu’il faut retenir est que ce protocole n’injecte pas d’agent infectieux, mais seulement un extrait bactérien incapable d’infection. Ainsi, réalisé dans un cadre hospitalier, il s’agit d’un protocole sûr pour les sujets et reproductible pour étudier les effets d’une intervention, en l’occurrence la MWH, sur une inflammation aigüe. Lors de ces études, il a été montré de façon claire que la pratique de la MWH permet de diminuer les effets de l’endotoxémie : moins de symptômes de type grippaux, moins de cytokines inflammatoires, plus de cytokine anti-inflammatoire. La pratique de la MWH sur une infection n’a pas été testée2.

Donc, il est faux d’affirmer des choses comme : « la pratique de la MWH permet de tuer les infections, comme la science l’a prouvée »; « La science a prouvé que la MWH peut tuer E. coli » ou même « c’est prouvé scientifiquement que la MWH aide à tuer les infections dont les virus ». Le problème de ces affirmations est qu’elles se basent sur de la science… inexistante. Et ainsi, elles font une mauvaise utilisation de la science pour valider une croyance. Peut-être que la MWH peut aider à mieux gérer les infections, mais la science actuelle ne permet pas de le dire.

Mais alors, pourquoi ces études sont-elles tout de même précieuses ?

Quand j’explique tout cela à des élèves, il m’arrive de voir des regards déçus, comme si je brisais un espoir très cher à eux. Une fois cette confusion défaite, j’ai déjà vu des personnes réagir en disant « mais alors pourquoi pratiquer la MWH ? ». Rassurez-vous, il n’y a aucune raison d’arrêter sa pratique, même après avoir réparé cette confusion !

  • Les données actuelles concernent ainsi l’effet de la MWH sur le système immunitaire inné et donc l’inflammation. Les chercheurs font l’hypothèse dans leurs articles que cette pratique pourrait être intéressante pour les personnes souffrant de maladies auto-immunes.
  • Les données sur l’effet de la MWH sur les infections sont à l’heure actuelle manquantes. D’une manière générale, les bénéfices de la MWH sur le système immunitaire adaptatif sont plutôt de l’ordre de la spéculation que des preuves robustes. Mais absence de preuve n’est pas preuve d’absence. Et il est possible qu’à l’avenir des découvertes nouvelles aillent dans le sens d’un effet positif de la MWH sur les infections. Mais en attendant, il n’y a pas de raisons scientifiques robustes de se sentir invincibles.
  • Au-delà du volet sur le système immunitaire, il y a d’autres aspects – par ailleurs tout aussi spéculatifs mais tout aussi intéressants – auxquels la MWH s’intéresse, tels que la gestion du stress, la santé mentale et la préparation mentale.

Bref, tout cela donne de bonnes raisons de pratiquer la WHM si on pense en avoir besoin ou si on en a simplement envie. À partir du moment où l’on joue avec le confort et pas avec la sécurité, il n’y a pas de raison de s’en priver. Selon moi, colporter des fausses croyances basées sur une incompréhension des données scientifiques a de nombreux travers. Les principaux étant que de telles croyances sur une prétendue immunité totale peuvent engendrer des comportements dangereux. Imaginer des personnes se croyant tellement immunisés au VIH qu’ils ne songeraient même pas à se protéger, ni à protéger leur entourage à l’aide d’un préservatif. Imaginer ensuite les conséquences de tels comportements sur l’opinion publique qui serait tentée de classer cette pratique comme une dérive dangereuse voire sectaire. Il faudrait alors beaucoup de temps pour la faire revenir dans le giron des pratiques acceptables et que les scientifiques s’y penchent à nouveau. Il s’agit d’un temps précieux qui est perdu et qui aurait été mieux utilisé à promouvoir une approche raisonnable afin d’aider un maximum de personnes.

Bref, cette confusion « E. coli » et « endotoxine d’E.coli » n’est pas un détail élaboré par un de ces pisse-froid de microbiologiste. Cette confusion a des conséquences directes sur la pratique et la crédibilité de la MWH.

Point Info

Puisque vous êtes encore ici, et avant que vous ne partiez…
Sachez que chacun de mes billets de blog représentent en moyenne 10 à 20 heures de travail (parfois plus !), entre l’écriture, la lecture des articles scientifiques, les corrections si possible avec aide extérieure… Donc, si vous avez aimez ce billet, n’hésitez pas à la partager ! Merci !

🔥❄️🧠✌️

Sébastien.

Sébastien Zappa, PhD

Maître Instructeur Oxygen Advantage
Moniteur REBO2T
Instructeur Méthode Wim Hof – niveau 2
Praticien ELDOA – niveau 2
Geek de la respiration et du froid, Homo cryopulmosapiens..

Heureux de vous coacher depuis 2018

1 Pour celles et ceux qui veulent plus de détails, il s’agit de la structure la paroi des bactéries dites Gram négative : une membrane lipidique interne, entourée d’un maillage de peptidoglycane, entouré lui-même d’une membrane lipidique externe elle-même recouverte d’une enveloppe de lipopolysaccharide.

2 À ce sujet, je ne suis pas un spécialiste de la microbiologie clinique, et encore moins des essais sur l’homme. Mais je sais que ce type de recherche est très encadré par des comités de bioéthique. L’injection d’un agent infectieux à des sujets humains n’est pas une expérimentation triviale.

Références :

Calvano SE, Coyle SM. Experimental human endotoxemia: a model of the systemic inflammatory response syndrome? Surg Infect (Larchmt). 2012 Oct;13(5):293-9. doi: 10.1089/sur.2012.155. Epub 2012 Oct 16. PMID: 23072275; PMCID: PMC3503465.

Kox M, Stoffels M, Smeekens SP, van Alfen N, Gomes M, Eijsvogels TM, Hopman MT, van der Hoeven JG, Netea MG, Pickkers P. The influence of concentration/meditation on autonomic nervous system activity and the innate immune response: a case study. Psychosom Med. 2012 Jun;74(5):489-94. doi: 10.1097/PSY.0b013e3182583c6d. PMID: 22685240.

Kox M, van Eijk LT, Zwaag J, van den Wildenberg J, Sweep FC, van der Hoeven JG, Pickkers P. Voluntary activation of the sympathetic nervous system and attenuation of the innate immune response in humans. Proc Natl Acad Sci U S A. 2014 May 20;111(20):7379-84. doi: 10.1073/pnas.1322174111. Epub 2014 May 5. PMID: 24799686; PMCID: PMC4034215.

Kox M et al. 2022. Accepté pour publication.

2 réflexions sur “Méthode Wim Hof et la confusion d’E. coli”

  1. La science de bazard dans toute sa splendeur. Insinuer le doute dans les esprits est une manipulaton utilisée tous les jours par les tenants de cette science pour nous faire croire
    que la santé c’est une affaire de spécialistes .Les animaux dans leur milieu naturel ne
    font pas de cancer ni de maladie cardiovasculaires mème à Tchernobyl.

    1. Merci pour votre intérêt pour mon blog. Je ne peux que saluer votre enthousiasme ! Si ce dernier confère à votre message une grande clarté et un caractère percutant, on ne saurait qu’être déçu des approximations épistémiques qui l’entachent. Aussi me fais-je un plaisir de partager avec vous quelques références de qualité qui devraient permettre de combler quelques lacunes, à défaut d’y remédier.

      Au plaisir de vous aider dans votre quête de connaissances,

      Bien à vous,

      Sébastien.

      https://www.pourlesnuls.fr/livres/culture-generale/la-biologie-pour-les-nuls-9782754023153

      https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-pourquoi-du-comment-science

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